Ce polar nerveux plonge dans les milieux mafieux de Hongkong à travers le portrait d’un jeune serveur pas si net que cela.
C’est le jour et la nuit. Quand le soir tombe, Zhong-Han, paisible employé dans un restaurant de quartier, se transforme en membre d’un gang qui rackette les commerçants de Taïwan. Le garçon a la particularité d’être muet. Dans son regard d’une rare intensité passe tout un arsenal de nuances. Le film a l’astuce de se situer en 2019, au plus fort des mouvements d’opposition à la Chine. À la télévision, des images montrent les manifestations qui se produisent là-bas, comme un signal d’avertissement. La jeunesse jette à peine un œil sur ces événements, rivée qu’elle est à son téléphone portable. Plutôt que les émeutes, la population s’intéresse à ce nouveau gâteau importé de l’Occident par un pâtissier français, l’éclair taïwanais, symbole de luxe et de singularité.
Un promoteur véreux (pléonasme) menace de racheter la cantine pour une bouchée de pain, même si le bail s’achève dans quatre ans (360.000 dollars, ça ira, comme dédommagement ?). La mafia locale va intervenir. Soudain, les deux univers du jeune homme vont se percuter, inévitablement. Pour son premier long-métrage, Keff s’attaque au film de genre. La panoplie est au rendez-vous. Néons multicolores, trottoirs luisant de pluie, discothèques, le décor affiche complet. La corruption semble la chose la mieux partagée de l’endroit. Un candidat aux prochaines élections multiplie les promesses.
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Pendant ce temps, Zhong-Han a rencontré une vendeuse de supermarché à laquelle il cache une partie de la vérité. Le bistrot à nouilles est vandalisé devant le patron impuissant. Des avocats d’affaires arborent un sourire cruel, dans les costumes sombres. Des vidéos diffusent les agressions des triades dans le métro de Hongkong. Les voyous se défient au karaoké, se cachent derrière des masques d’Obama. On ne compte plus les règlements de comptes à coups de poing ou de battes de baseball.
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Il y a du sang et de la sueur. Les larmes seront pour plus tard. L’amour a du mal à se glisser dans ce monde de faits divers qui ne dit pas son nom. La gentille vendeuse tombe de haut. Le héros perd ses nerfs, conduit sa moto pleins gaz vers nulle part. La tragédie le suit à la trace. Voilà ce que c’est d’avoir cru pouvoir mener une double vie. Malgré tout, il n’a pas que des défauts. Il s’agit d’un bon fils : il dépose un origami en forme de mante religieuse sur la tombe de sa mère. Tout cela tourne rond, classique, à la façon du solide cinoche du dimanche avec un aimable parfum de déjà-vu. Ce récit tourmenté, en zigzags, traversé de bagarres et de silences, parfois répétitif, laisse un peu sur sa faim. Que manque-t-il alors ? Vous reprendrez bien un bol de nouilles ? Ou alors peut-être un éclair taïwanais ?